Le Café de la nouvelle mairie est de ces lieux parisiens que les touristes étrangers affectionnent particulièrement. Depuis que ce petit troquet niché derrière le Panthéon (Paris 5e) est apparu dans Emily in Paris, les fans de la série y affluent en nombre. Karol Beffa nous y donne rendez-vous. Ce n’est pas qu’il soit fan de ce feuilleton : « C’est juste que c’est à côté de mon bureau », confie cet enseignant en musicologie à l’École normale supérieure (ENS) de la rue d’Ulm.
Malgré un emploi du temps surchargé, le pianiste et compositeur de 50 ans s’accorde volontiers une pause en milieu d’après-midi pour boire un chocolat chaud ici. « Les journées sont un peu longues en ce moment », reconnaît-il.
Connu pour sa musique, et notamment pour ses concerts d’improvisations, Karol Beffa est aussi un passionné de cinéma. À 7 ans, il incarnait le rôle du jeune Mozart dans un biopic de Marcel Bluwal, sorti en 1982. Deux ans plus tard, il partageait l’affiche de Lino Ventura dans La Septième Cible, réalisé par Claude Pinoteau.
Il est aujourd’hui à l’affiche du premier long-métrage de Jean-Claude Monod (Un jour fille… en salle depuis le 8 mai) qui conte l’histoire d’un hermaphrodite du XVIIIe siècle. Non content d’y jouer un petit rôle aux côtés de Marie Toscan, Thibault de Montalembert, François Berléand, Isild le Besco ou encore André Marcon, il en a écrit la musique. « Une bande-son un peu baroque », sourit-il.
Une vocation précoce
Né dans une famille d’universitaires mélomanes (où l’on honore la mémoire de trois oncles musiciens qu’il n’a pas connus), il est inscrit, dès son plus jeune âge, à l’École des enfants du spectacle, le célèbre collège Rognoni (Paris 5e). Ce qui lui permet de se produire au théâtre. Il effectue deux tournées nationales avant ses 10 ans : l’une pour Liberté à Brême, de Fassbinder, mis en scène par Jean-Louis Hourdin, où il incarne le fils d’Hélène Vincent, la seconde pour Grand-Père, de Remo Forlani, mis en scène par Michel Fagadau, où il joue le petit-fils de Jean-Pierre Darras.
Il est aussi programmé, bambin, au Festival d’automne dans La Bonne Âme du Se-Tchouan de Bertolt Brecht, sous la direction de Giorgio Strehler. Même s’il a joué plus de cinquante fois le jeune Macduff dans Macbeth de Shakespeare à la Comédie française, alors dirigée par Jean-Pierre Vincent, il n’a jamais envisagé sérieusement de poursuivre dans cette voie.
C’est que ce garçon pudique a vu éclore sa vocation de musicien très tôt. « Dès que j’ai commencé à apprendre la musique, j’ai su qu’elle jouerait un rôle central dans ma vie », dit-il. À l’adolescence, il pratique en parallèle le piano et le saxophone et se passionne naturellement pour le jazz auquel le prédisposent ces instruments. Il n’en poursuit pas moins un cursus classique au Conservatoire national supérieur de musique de Paris où il est reçu à… 14 ans ! Petit virtuose, il y décroche huit premiers prix.
Des dizaines de commandes
Doué pour les études, il intègre parallèlement le lycée Henri-IV et hésite, un temps, à embrasser une carrière d’économiste, mais la musique prend définitivement le dessus à ses 20 ans. L’agrégation de musique lui permet très vite d’enseigner, d’abord à la Sorbonne puis à l’École polytechnique, avant de devenir, en 2014, maître de conférences à l’ENS. « Ce contact quasi quotidien avec les élèves m’est précieux. Il me permet de garder un pied dans le monde », émet-il. Le reste du temps, Karol Beffa le consacre en effet à l’écriture de la musique, reclus chez lui. « J’ai des dizaines de commandes à honorer. Ma vie ressemble un peu, en ce moment, à celle d’un moine copiste, penché sur son écritoire », sourit-il.
À LIRE AUSSI Rendez-vous avec Martin Parr : « Plus le sujet que je traite est grave, plus je tente d’y introduire de l’humour » Quand la déprime – liée à l’isolement – pointe son nez, il se réconforte en se disant qu’il sera bientôt amené à partager sa musique avec le public. Au mois de mai, il s’est produit tour à tour à Angers, Toulouse, Neuchâtel et Vevey, y livrant à chaque fois une prestation différente. Sur les bords de Loire, il a improvisé une bande originale pour le film muet de F.W. Murnau, L’Aurore, dans le cadre du festival Pianopolis.
Quelques jours plus tard, en Haute-Garonne, il créait, avec l’Orchestre national du Capitole, le conte musical Cabot-Caboche qu’il a coécrit avec Daniel Pennac. En Suisse, fin mai, il a joué l’une de ses œuvres les plus célèbres, Talisman, un quintette pour clarinette, violon, alto, violoncelle et piano. Puis donné Le roi qui n’aimait pas la musique (livret écrit par le consultant Mathieu Laine), une pièce musicale pour enfants qui tournera beaucoup cet été.
Jamais avare de son temps, en marge de ces spectacles, il en profite pour donner, dans toutes ces villes, des conférences sur ses derniers livres. Il a en effet publié en janvier une biographie de Bernard Herrmann (Actes Sud), le compositeur des musiques de grands classiques du cinéma, de Citizen Kane d’Orson Welles à Taxi Driver de Martin Scorsese en passant par Sueurs froides, La Mort aux trousses ou encore Psychose d’Alfred Hitchcock.
À LIRE AUSSI Rendez-vous avec Helena Noguerra : « Kundera m’a sauvée des assauts des dragueurs lourds » Décidément très productif, Karol Beffa a également consacré, avec le chercheur du CNRS Guillaume Métayer, un coffret de trois ouvrages à Camille Benoît (aux éditions La Rumeur libre). Il voue une grande admiration à cette figure oubliée du début du XXe siècle qui fut à la fois compositeur, organiste et poète, traducteur de l’allemand, introducteur de Wagner en France, mais aussi critique réputé avant de finir sa carrière comme conservateur des peintures au Louvre, musée auquel il légua d’ailleurs La Nef des fous de Jérôme Bosch.
SON DIMANCHE IDÉAL : le dimanche, quand le temps le permet, il aime se promener au Jardin des plantes ou du Luxembourg. « C’est tout à la fois apaisant et légèrement dépaysant », dit-il. Comme Jean Giono, Karol Beffa aime écrire en marchant, entouré de verdure.
Ce créateur polymorphe se passionne aussi pour les sciences. Il vient d’animer une conférence au Collège de France avec le professeur Stanislas Dehaene, détaillant l’effet qu’a sur le cerveau l’écoute de la musique. Le lendemain, il supervisait dans la cathédrale Saint-Louis des Invalides son Music for Four Musicians : un hommage au grand compositeur américain Steve Reich.
À LIRE AUSSI Rendez-vous avec Romain Puértolas : « J’ai trouvé le métier parfait, je peux vivre toutes les vies ! » Son agenda déborde d’activités. Le soir de la Nuit blanche (le 1er juin), il était au musée Guimet pour présenter une pièce inédite composée pour un trio à cordes. Intitulée Cette obscure clarté, cette œuvre a été suivie par des extraits de Libre Jeu, petite sonate pour alto solo, composée d’après le recueil de poèmes de Guillaume Métayer. La soirée s’est prolongée tard dans la nuit avec l’écoute de son concerto Lamento, suivi d’improvisations endiablées en lien avec l’œuvre de Li Chevalier récemment installée sur place. Et dont le titre l’a particulièrement inspiré : Rêves des âmes flottantes.
Un été bien rempli
Parviendra-t-il à prendre des vacances cet été ? Rien n’est moins sûr. Juin et juillet promettent d’être très chargés. Invité le 23 juin au festival de Bienne où il présentera à nouveau son quintette Talisman, il rejouera ensuite la pièce de théâtre musical Le roi qui n’aimait pas la musique au château de Méry-sur-Oise, puis à Évian, le 30 juin, sous le beau chapiteau de la Grange au lac. Ce jour-là sera créée la suite de cette œuvre avec une partition plus jazzy intitulée Le roi qui aimait Joséphine. Charles Berling, Renaud Capuçon, Edgar Moreau, Paul Meyer seront pour l’occasion à ses côtés.
De Compiègne à Amiens en passant par Chambéry, Obernai, Menet, Montignac, Saint-Martin-de-Pallières, Tournai et Les Sables-d’Olonne, son été va être itinérant. « C’est ça la vie d’un saltimbanque ! » rigole-t-il. Le musicien n’en posera pas moins ses valises quelques jours en Crète à la mi-juillet. Mais le repos n’est pas au programme… Invité au festival Musique et Mathématiques, il y échangera sur les nombreux liens qui unissent les deux disciplines en compagnie de son camarade de l’ENS Cédric Villani. Karol Beffa y donnera aussi un concert.
« Je vais quand même essayer d’en profiter pour nager un peu », glisse-t-il. De fait, il reprendra sur les chapeaux de roues à la rentrée. Notamment avec deux créations en septembre : celle de Dernier Désert, pièce pour violon et piano offerte à Fanny Clamagirand et Roustem Saïtkoulov. Et une pièce symphonique importante que jouera l’Orchestre de Picardie : Melancholia. Un agenda qui donne le tournis…
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