Il pleut. Il neige. Un 24 avril, dame ! Le jour même où Le Devoir rencontre Navet Confit à l’occasion de la sortie de son dixième album et de ses vingt ans de carrière potagère dans les alentours en friche du jardin de la chanson. Avoir été richissime, on pourrait croire qu’il a fait exprès, notre gaillard d’espèce rare, légumineuse à longue tige. La quatrième chanson de l’album Désolé mouvement geste ne s’intitule-t-elle pas Il a plu il a neigé ? Ne s’agit-il pas, qui plus est, de la chanson forte de la récolte, une pousse miraculeuse qui troue le ciel, rapport à la participation divine de Douance ? Et si c’était possible ?
Mais non. Saupoudrer les nuages de particules qui les percent n’est pas prévu dans le pécule subventionnaire alloué. Citons Navet Confit s’en expliquant avec force arguments sonnants et trébuchants dans une autre chanson au titre fort long et non moins éloquent : Tu me demandes souvent pourquoi je ne fais pas beaucoup de spectacles.
« c’est assez simple tu vois
c’est principalement parce qu’après 20 ans de métier
on me propose encore les mêmes cachets
(quand on m’en propose)
que quand j’avais 25 ans »
Ces paroles ne riment à rien pour faire une chanson, on dirait un extrait de lettre dans la page Idées de votre Devoir. Ou un extrait d’entrevue. Elles s’arriment pourtant à un riff de guitare lourd et se chantent sur un rythme syncopé qui épouse étonnamment les mots. C’est un fortiche, Navet Confit, capable de se livrer tout seul à un jeu de souque à la corde entre le sens et l’insensé, le chaos et l’ordre, le tonitruant et le délicat, le terriblement sérieux et l’absolument ludique. « Je peux dire “je crois” au premier degré et, trente secondes plus tard, me r’virer de bord et croire au huitième degré, en faire une blague. C’est ma façon de survivre au tragique de la vie. »
Durer, c’est commencer tout le temps
Et c’est ainsi qu’il parvient à faire de la musique, à sa manière si particulière, dans la durée. Vingt ans d’émergence, mazette ! Il pouffe. « Ça me fait rigoler, cette description, ça sous-entend une certaine fraîcheur. Je peux me plaindre des difficultés très réelles du métier le temps d’une chanson, mais en même temps, ce n’est pas si grave, puisque je suis encore en train d’émerger. Faire le Navet Confit n’est pas toute ma vie, je fais des musiques pour le théâtre, pour le cinéma, je fais de la réalisation, je me débrouille assez bien. » On peut être à la fois Navet Confit et Jean-Philippe Fréchette, dans un même grand corps d’escogriffe au rire généreux.
Le nouvel album est un régal végétalien avec beaucoup de viande sur le squelette. Dans la chanson-titre, on passe d’ambiance tendue de film d’espion des années 1960 à un lâcher-prise de riffs proches du death metal, puis on se love dans un hamac jazzy bombardé par des bruits électroniques. « Je ne sais pas d’avance où ça va aller, j’ai toute une série de bouts d’enregistrements et d’échantillons que je place quand j’ai le temps, mais pas non plus de façon aléatoire. » Désolé mouvement geste place l’album sur des lignes de haute tension : comment s’en sortira-t-on ?
L’art du contraste extrême
Dans la chanson suivante, Changer l’heure, un strumming vigoureux de guitare acoustique véhicule un « certain nihilisme », avoue notre interlocuteur : « c’est pas la peine le monde est laid / c’est pas la peine de changer l’heure (2) / est-ce que la vie devient / moins pire quand on meurt ? ». Rire jaunâtre. Humour de fin du monde. Contraste très voulu entre le propos et la musique. C’est toujours étonnant, agréable, voire joli, entre les blitzkriegs de décibels. Plus la chanson creuse le malaise, comme dans Il a plu il a neigé (qui s’achève sur le leitmotiv « tout brûle comme prévu »), plus Navet Confit s’amuse avec les mots : « par habitude / paratonnerre / des indécis / décidés / à décevoir », chante-t-il avec Douance. « J’adore les allitérations. Ça donne un peu d’air, ça allège même les mots les plus lourds. »
« Je dénonce, mais j’ai beaucoup d’amour pour les sujets que j’aborde. La vie est absurde, mais on la vit quand même tous les jours. » Le but, comprend-on, est de se sentir moins seul. Dans la très volontairement répétitive et minimale Regarde mes cheveux, on partage l’ensemble du monde-spectacle des réseaux sociaux en une seule image choc : « j’ai laissé pousser mes cheveux / regarde / j’ai fait couper mes cheveux / regarde ». Tout est montré, tout est dit. « Ce que je cherche à faire voir avec cette illustration extrême, c’est tout ce qui n’est pas montré pendant que les cheveux poussent. Les véritables liens entre les gens. » Tant de chevelures à toucher, à caresser, tant de belles têtes sous les tignasses. Navet Confit est un poète tendre du palpable. « Je ne suis pas dématérialisé. Nous continuons d’exister physiquement. J’écoute encore des disques vinyles, moi ! »
Étrangement proche
Navet Confit, cultivant son étrangeté en pot, n’est pas moins un être de proximité. Dans une autre chanson chapeautée par un titre à rallonge, Je suis le squelette qui chante pour tes oreilles pendant la nuit, il décrit cette sensation merveilleuse de rapprochement entre humains qui se produit quand un chanteur nous chuchote sa mélodie entre le marteau et l’enclume : « et quand je chante pour toi / je chante comme si tu étais juste là / juste à côté de moi […] et c’est comme ça qu’on se syntonise ». N’est-ce pas ? Il ajoute : « je n’ai jamais compris ceux qui chantent à pleine voix ».
« Rien n’est jamais garanti. Qui écoute mes disques ? Je ne le sais pas trop. Parfois, on m’écrit que telle ou telle chanson a été importante, qu’on l’écoute comme un proche ami. Ça me suffit. La seule possibilité que certaines personnes vivent une relation avec une chanson comme si elles en étaient la seule et unique destinataire, je trouve que c’est la plus grande réussite. Ça ne m’intéresse pas de chanter plus fort qu’une foule en délire. Ça m’intéresse qu’un contact s’établisse. » La présence de quelques chanteuses, familière Sheenah Ko et nouvelle venue Chloé Jara-Buto, vient nous le signifier : « J’enregistre seul par la force des choses. Je n’aurais pas les moyens autrement. Leurs voix si singulières, et la présence de Douance, ce sont des joies rares, qui me sont essentielles. » La culture du Navet Confit en dépend.
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