Le petit couac vocal de l’Américaine a suscité de nombreuses réactions à l’encontre de sa performance.Image: keystone / watson
Analyse
Lors de la mi-temps du Super Bowl, Alicia Keys a démarré son tube avec la voix cassée. Quelques heures plus tard cependant, la vidéo officielle avait déjà été «corrigée». De quoi biaiser la mémoire collective. Playbacks et performances polissées complètes le tableau du «fake mais beau», plus important désormais que le «vrai, avec quelques défauts». Une anecdote… pas si anecdotique que ça.
21.02.2024, 18:48
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Les téléspectateurs, un tant soit peu mélomanes qui regardaient en direct la finale du Super Bowl, le 11 février dernier, n’auront pas manqué le faux départ d’Alicia Keys lors du show de la mi-temps avec Usher. La chanteuse de 43 ans a entonné son tube If I Ain’t Got You en déraillant (ou en lâchant carrément une fausse note selon les plus mauvaises langues).
En revanche, ceux qui ont regardé le mini-concert quelques heures plus tard sur le compte YouTube de la Ligue nationale de football américain n’y ont vu (entendu?) que du feu. Le déraillement de la star américaine avait déjà été corrigé dans la vidéo. Ni vu ni connu, circulez, ici tout est parfait.
Ce musicologue l’a fait remarquer sur X, et de nombreux médias ont repris l’anecdote dans les heures qui ont suivi:
Last night Alicia Keys’s voice cracked (first video), and fascinatingly, the official NFL YouTube channel appears to be attempting to erase that little moment, having edited it out in their upload (second video). pic.twitter.com/EM4k8rWT8c
— Robert Komaniecki (@Komaniecki_R) February 12, 2024
Une anecdote… pas si anecdotique que ça. Et qui, un jour, pourrait bien biaiser l’histoire avec un grand H., Car il ne s’agit pas d’un «cas isolé», mais d’une pratique très courante, et pas uniquement lorsqu’il s’agit de musique.
Du playback en prévision des fausses notes
Le petit couac vocal de l’Américaine a suscité de vives réactions à l’encontre de sa performance. De nombreux internautes ont tout de même pris la défense d’Alicia Keys, comme cette coach vocale, sur TikTok.
«Calmez-vous les gens, ça arrive parfois. Les artistes sont des humains!»
Les enregistrements de concerts, surtout s’ils ont pour vocation à devenir un album, subissent quasiment toujours des modifications. On coupe les longues tirades engagées entre les morceaux, on diminue ou on accentue les bruits du public… De quoi se poser la question: le (faux) live du show du Super Bowl à voir en replay sur YouTube est-il une œuvre artistique à part entière, qui mérite elle aussi d’être bidouillée par un ingé son?
On peut tout de même saluer la performance d’Alicia Keys, car rappelons-le, il n’est pas rare que certains artistes se produisent en concert en «semi-playback». Britney Spears, par exemple (mais elle n’est de loin pas la seule), est connue pour chanter par-dessus ses propres enregistrements, dont on augmente le volume en régie pour «écraser» sa voix en live quand les fausses notes sont trop audibles (on lui pardonnera quelques ratés lorsqu’elle dansait de façon endiablée en même temps qu’elle chantait).
Au point que Britney Spears a parfois tenu à rappeler qu’elle sait chanter, et l’a fait en live à plusieurs reprises avec sa «vraie voix», plus rocailleuse, comme ici en 2017, lorsqu’elle était encore sous la tutelle de son père:
A l’inverse, d’autres artistes détestent tellement se produire en playback que lorsqu’ils y sont contraints, ils le font en se moquant. Cette vieille séquence de Muse sur un plateau de télé italien, lors de laquelle les membres se sont échangés les rôles, en est une bonne illustration:
L’hymne américain et sa mélodie infernale
Parfois, afin d’éviter de «faire une Alicia Keys», les performances publiques sont enregistrées et chantées ensuite en «lip sync» le jour J. C’est le cas notamment de l’hymne américain et son infernale mélodie, réputé pour être particulièrement difficile à chanter.
Ainsi, pour la seconde investiture du président américain Barack Obama, en 2013, pas d’hymne en live pour Beyoncé. La chanteuse avait choisi la sécurité et enregistré le morceau en avance.
La raison invoquée? Le manque de temps pour répéter avec le Corps des Marines, une décision prise à la dernière minute afin d’assurer la qualité de la performance. Queen B est connue pour son perfectionnisme qui frôle l’acharnement hystérique (et la crise de nerf pour ses équipes).
Il est vrai que les tréfonds d’internet regorgent d’interprétations ratées de l’hymne américain. Fergie, en 2018, a fait les frais de son audace et sa créativité. En finale de la NBA, la version jazzy de l’ex-chanteuse des Black Eyed Peas, mais surtout décalée et bourrée de fausses notes, fait depuis partie des «classiques» en matière de fails outre-Atlantique. L’Américaine avait même présenté ses excuses; on ne massacre pas l’hymne sans en subir les conséquences.
«J’ai toujours été honoré et fière d’interpréter l’hymne national et hier soir, je voulais essayer quelque chose de spécial pour la NBA. Je prends des risques artistiquement, mais il est clair que cette interprétation n’a pas trouvé le ton souhaité. J’aime ce pays et j’ai honnêtement fait de mon mieux.»
Fergie, en 2018.
Aurait-il mieux valu à la chanteuse de préenregistrer l’hymne, et de s’en tenir à la version originale? Aurait-il fallu modifier sa voix dans la vidéo avant sa publication? Y avait-il trop de fausseté pour tenter le bidouillage par un ingé son? Le fail était-il déjà trop viral pour maquiller la réalité?
Des corrections et une histoire biaisée
Indéniablement, le cas de Fergie est bien plus grossier que celui d’Alicia Keys. Les questions évoquées plus haut à propos de l’hymne revisité par l’ex-chanteuse des Black Eyed Peas trouvent sans doute des réponses, évidentes, dans le simple fait de les poser.
En revanche, à la mi-temps du Super Bowl, on note un seul petit raté, qui ne ternit en rien la réputation d’excellence d’Alicia Keys. Sa voix n’a fait que se briser sur une syllabe. «Sometimes, shit happens», comme on dit. Une fausseté si minime pour une si grande artiste qui justifierait ainsi la correction?
Le 15 février, CBS titrait, naïvement ou ironiquement, vous déciderez: «Si la voix d’Alicia Keys se brise lors du Super Bowl, mais qu’elle est modifiée au montage, a-t-elle [la voix cassée] réellement existé?». La question peut prêter à sourire, mais elle n’est pas si anodine. Car en modifiant la réalité, on modifie aussi la trace qu’on en laisse dans la mémoire collective en musique. Et donc l’histoire. C’est ce que souligne Le Courrier International dans un sujet à propos de ces (re)montages de l’histoire:
«Si les souvenirs numériques sont altérés, les historiens de demain pourraient avoir une vision biaisée de notre époque»
Le Courrier International.
Car si aujourd’hui, ce sont les performances live qui sont éditées, demain, comme le souligne encore le média, ce pourra être au tour des discours politiques, par exemple.
Sans parler de l’intelligence artificielle, grâce (ou à cause?) de laquelle certains discours prononcés… n’ont simplement jamais existé «dans la vraie vie». Les deep fakes et autres photos générées sont de plus en plus réalistes. Ces enjeux sont énormes et nous échappent encore pour le moment, dans l’industrie musicale également.
Si parfois, l’IA permet de faire «renaître» des artistes disparus, d’autres, bien vivants, découvrent un matin qu’on les a fait chanter un titre qu’ils n’ont pourtant jamais ne serait-ce que fredonné dans un micro. Le cadre légal entourant l’usage de l’intelligence artificiel dans la musique est encore flou, et les débats avancent moins vite que les progrès technologiques.
Exemple avec Angèle, qui n’a jamais chanté cette chanson 👇🏽
Vidéo: watson
Pour en revenir à la voix brisée de la chanteuse en finale de la National Football League, certains médias internationaux ont tenté une explication. Il est possible que ce bref passage ait été modifié car le show ultra millimétré du Super Bowl est désormais sponsorisé par Apple Music, qui n’a fait aucun commentaire à ce propos.
La bonne nouvelle, dans cet «Alicia-Keys-gate»? L’événement est la preuve que certains artistes continuent de se produire en live devant des milliers de spectateurs et des millions de téléspectateurs, sans playback, sans lip sync, sans bande-son par-dessus laquelle chantonner sans conviction, avec le risque, certes, d’une petite syllabe cassée. Jusqu’à quand?
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On parlait d’intelligence artificielle: OpenAI lance Sora, capable de générer des vidéos bluffantes 👇🏽
Vidéo: watson
Cette annonce survient alors que l’essor de l’IA générative fait craindre que des personnes n’utilisent ces outils pour semer le chaos politique, surtout à l’approche de plusieurs élections majeures cette année, dont aux Etats-Unis.
Le géant américain Meta veut identifier «dans les prochains mois» toute image générée par l’intelligence artificielle (IA) qui sera publiée sur ses réseaux sociaux, une décision prise sur fond de lutte contre la désinformation, au début d’une année riche en scrutins électoraux.
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