Sanseverino, La salsa du démon

Quand on pense que le Père Di Falco a failli s’étouffer en découvrant, à l’époque, le clip des Démons de minuit, on se demande ce qu’il a dû penser lorsqu’une bande d’énergumènes a déboulé sur les plateaux télé déguisés en diable et autres sorcières…

Fin 1980, le Grand Orchestre du Splendid, big band hexagonal apparu en pleine tourmente punk et capable de surfer sur différents répertoires, sort une chanson qui va devenir culte quasi instantanément. La salsa du démon est née d’une vision. Celle de Xavier Thibault, l’un des leaders de la troupe, de se retrouver en costumes (« Le fait de mettre ces costumes invraisemblables a eu un déclic pour les paroles et les personnages », confiera-t-il à RFI Musique). Une idée qui allait largement faire son chemin mais à qui il fallait un leitmotiv. Celui-ci allait prendre la forme d’une messe noire bien particulière animée par un Belzebuth survolté et simplement (ou presque) vêtu d’une grappe de raisin en guise de cache-sexe, auquel allait succéder Vampirella, la nymphomane, et la sorcière vieille et moche. Une véritable fête du slip (au propre comme au figuré) satanique que tout le monde allait reprendre en chœur sans peser le poids de tous les mots (le couplet de Vampirella, notamment).

Plus ska que salsa, musicalement parlant, La salsa du démon a fait les belles heures d’un Orchestre réuni au départ par une passion commune pour le jazz et qui allait connaître d’autres tubes (Macao, Radio Pirate…). C’est également l’un de ces morceaux très difficiles à reprendre tellement ils sont marqués par l’empreinte de leurs créateurs.

En 2009, Sanseverino a toutefois réussi à en proposer une copie des plus honorables. Dans son album Les faux talbins, l’amateur de Django Reinhardt délaisse quelque peu ses influences manouches pour un registre plus rock.

Sa version de La Salsa du démon est moins extravagante que celle du Splendid. Mais comment aurait-il pu en être autrement sans se casser les dents ? Au contraire, délicates touches d’orgues Hammond à l’appui, le Parisien délivre une facette plus en retenue, du moins jusqu’à l’arrivée de la sorcière.

Conscient que l’originale est intouchable, Sanseverino s’empare du morceau et le remodèle à sa manière, presque jazzy, et le résultat est très convaincant. Horreur, bonheur.

Opium du Peuple, L’aigle noir

Opium du Peuple ou une certaine relecture de la variété française. Depuis 2006, les punk-rockers du Sud-Ouest restaurent, réécrivent, donnent un autre visage à ces classiques qui ont, pour la plupart, fait les belles heures des émissions de Maritie et Gilbert Carpentier.

Avec eux, il est 5 heures et Paris n’a pas fermé l’œil ; on ne rêve plus d’elle, on cauchemarde ; le téléphone ne pleure plus, il braille, surtout lorsque Didier Wampas vient y repousser les limites de la justesse. Dans le paisible cimetière de Dannemois, certains racontent même avoir vu une larme couler le long de la joue de la statue du grand Claude.

En fait, Opium du Peuple n’est rien de moins qu’un groupe extraordinaire qui se joue des codes de ces chansons que tout le monde connaît par cœur en les adaptant à la sauce punk-rock, voire heavy. Il en ressort quelques pépites distillées dans des albums qui ont pour nom Sex, Drugs & Variété, La révolte des Opiumettes ou encore La revanche des clones.

Jeter une oreille dans leur discographie, c’est prendre le risque d’y passer des heures. Mais il faut, au moins une fois dans sa vie, avoir entendu le thème du Parrain revu et corrigé en pièce de surf music. Leur version du Bal Masqué doit, à certains égards, plus au Jean-Michel Torché de Kad & Olivier qu’à la Compagnie Créole mais on est projeté à mille lieues des noces de camélia de Bibiche et Tonton Maurice.

Le groupe joue la dérision à merveille et comme toujours dans ces cas-là, il faut que la maîtrise soit totale. Derrière Slobodan et ses cordes vocales remplies de gravier, la troupe est parfaitement en place. Et on se surprend à fredonner L’amour en mer, un Là-bas plus énervé ou cet Été indien en chant militaire. Dans ce flot de relectures, un morceau se démarque : L’aigle noir, transformé pour l’occasion en cavalcade façon western spaghettis. L’énergie ne dénature en rien l’œuvre originale de Barbara. Au contraire, les Albigeois semblent s’être attaqué à ce monument en gardant à l’esprit le souci de conserver cette fragilité qui le rend unique. Malgré les grosses guitares, malgré la voix rocailleuse. Un exercice réussi haut la main et autrement plus authentique que ces compilations hommages orchestrées par les majors et interprétées par les dernières starlettes à la mode.

Anathema, Better Off Dead

Au milieu des années 90, Anathema s’éloigne de ses racines doom gothique et prend ses distances avec des groupes comme My Dying Bride ou Paradise Lost. Les frères Cavanagh s’orientent peu à peu vers un registre plus mélodique.

Premier pas vers ce nouvel univers, l’album Eternity surprend dès la sublime ouverture Sentient mais il faut attendre l’exercice suivant, Alternative 4, pour que tout s’aligne parfaitement.

Dernier disque de ces autres garçons de Liverpool avant le départ du bassiste et force créatrice Duncan Patterson, le millésime 1998 s’impose comme une référence du metal atmosphérique et reste, à ce jour, l’un des sommets d’Anathema.

Grands admirateurs de Pink Floyd (ils ne s’en sont jamais cachés), les membres du groupe ont profité du format CD pour agrémenter ce quatrième album de reprises. Plutôt ingénieux, les musiciens ne cèdent pas à la facilité et piochent dans l’injustement décrié The Final Cut. Ils proposent ainsi des versions plutôt fidèles de Your Possible Pasts et One of the Few avant de ponctuer les débats par le Goodbye Cruel World de The Wall.

La plus belle des surprises ne vient toutefois pas de la plume de Roger Waters. Car Anathema profite également de l’exercice pour aller là où on ne l’attend pas et s’attaque au registre punk à travers Bad Religion et un de leurs morceaux les plus récents à l’époque, l’excellent Better Off Dead.

Mélodie imparable, batterie à plus de 170 bpm, l’extrait de Stranger Than Fiction se loge immédiatement dans la bobine à souvenirs pour ne plus en sortir.

Forcément, attendre des Britanniques une lecture à l’identique était aussi envisageable que d’imaginer Max Cavalera interpréter le thème de la Reine des neiges raquettes aux pieds.

Anathema tamise l’ambiance, convie Michelle Richfield, la chanteuse de Dominion, et transforme le morceau en piano-voix symphonique qui, non seulement, fonctionne bien mais donne de l’ampleur au talent de compositeur de Brett Gurewitz. Touchante récréation dans un album à la beauté encore intacte aujourd’hui.