Par François R

– Publié le 01 Mar 2024 à 18:30

Le rappeur américain Schoolboy Q revient avec son tant attendu sixième album solo, Blue Lips.

Et si Schoolboy Q était en réalité l’étoile de Black Hippy ? Lui qui a évolué à la marge de ce super-groupe emmené par Kendrick Lamar, dans l’ombre de son meilleur pote devenu une immense star du rap malgré lui. “Q”, comme il est surnommé affectueusement par ses pairs, a une discographie aussi rare qu’exemplaire. Cinq albums studios solides en une dizaine d’années, six avec ce Blue Lips, dont au moins un classic, Oxymoron, un potentiel chef-d’œuvre, Blank Face LP, et un effort un peu loupé mais satisfaisant par moments, CrasH Talk. Le surdoué de l’écurie TDE revient six ans après ce dernier. Blue Lips, sa nouvelle livraison, est un album rap énervé, teinté de jazz, voire d’une aura parfois blues. Une œuvre musicale bleutée narrant la célébrité subie, quelques vestiges de la rue et les fantômes du passé.

Six ans d’absence, sixième album

Il aura fallu six longues années à Schoolboy Q pour accoucher de Blue Lips. Un album que l’on attendait plus, suite plus qu’attendue après le timoré CrasH Talk. Ce dernier, successeur de l’excellent Blank Face LP, a énormément déçu les fans du rappeur de Los Angeles. Si l’on excepte quelques tracks réussies, Dangerous en collaboration avec Kid Cudi, l’éponyme CrasH et son sample cramé ou l’ultime Attention, ce cinquième opus tournait en rond. Il fallait se réinventer. Prendre le temps. Laisser mûrir. Six ans pour délivrer un sixième album à la couleur musicale détonante, tranchant avec le côté gangsta de CrasH Talk. Un projet au nom équivoque, Blue Lips, charriant derrière lui une autre couleur, le bleu, forcément. Celui du jazzman en dèche, de l’artiste attristé, des films noirs des années 40.

[embedded content]

Note bleue

Blueslides est le titre le plus éclairant de Blue Lips. Une chanson amenant une ambiance tamisée, sa trompette en fond, digne d’une boîte de jazz enfumée qui ressusciterait Miles Davis. Mais Schoolboy Q convoque une autre âme perdue. Celle de son ami Mac Miller, rappeur de son état, décédé d’une overdose en 2018. Un choc dans la vie de Q qui lui rend ici un vibrant hommage : “Lost a homeboy to the drugs, man, I ain’t tryna go backwards”. Ce bleu, ou devrait-on dire ce blues, Q le traîne tout au long de l’album. De l’explication du titre, Blue Lips (“lèvres bleues” en V.F.), expression manifestant le choc, à l’image de la mort de son pote, aux deux featurings avec Devin Malik (Love Birds et Back n Love) qui amènent des sonorités très Blue Note. Le mythique label de musique tirant son nom de la fameuse note bleue dans le jazz et le blues.

Seul en scène

Le titre Foux, avec son côté jazz, fusion cette fois-ci, conjuguant instru speed et lyrics affutées, fait un pont entre ambiance jazzy et rap hardcore. Le rappeur joue la carte de l’egotrip, de la Sainte Trinité du rap U.S. : thune, drogues et beef. L’enchaînement avec la track First, et son refrain virulent qui obsède (“I was the first one fuckin’ that bitch !”), rappelle Q époque Oxymoron. Un rap énergique, voire agressif (le rouleau compresseur Yeern 101), sa marque de fabrique, qui est ici enrobé d’un velours couleur bleu comme dans un célèbre film de David Lynch. À l’instar de Dorothy Vallens, chanteuse tragique incarnée à l’écran par Isabella Rossellini, Schoolboy Q est seul sur scène. Point de Kendrick Lamar ou de Jay Rock à ses côtés, Ab-Soul, autre comparse de Black Hippy, fait quant à lui de la figuration. Freddie Gibbs, sur oHio, pareil. C’est peut-être dans cette solitude bleue, encore et toujours, fil rouge de Blue Lips, que Schoolboy Q brille le plus dans le noir.