«Le pianiste a fini son œuvre!» Aucune balle n’a été tirée sur le souffre-douleur préféré du cinéma. Devant une salle comble, le président de la Chambre de commerce, Fernand Ernster, met fin à la récréation jazzy et lance simplement le grand débat des quatre têtes de listes pour les élections législatives du 8 octobre. Avec un fil rouge, rappelle-t-il aux étourdis: «Quel avenir pour les entreprises?»
«Il est naturel que nous placions cette question au cœur du débat. Il faut dire que leur moral a été mis à rude épreuve ces dernières années», détaille l’entrepreneur averti. «Quand on est capitaine d’entreprise, il y a de quoi avoir le vertige! Et pourtant, malgré les tempêtes, les entreprises ont su faire front, parfois avec l’appui de l’État, en s’adaptant aux conditions imposées. Les entrepreneurs prennent des risques pour apporter de nouvelles idées. Ce sont des femmes et des hommes qui œuvrent au bénéfice de tous, nous devons leur garantir un environnement favorable.»
De petits meurtres entre amis, il est encore question quelques instants plus tard, quand les maîtresses de cérémonie, Bérengère Beffort et Christel Chatelain, laissent à Claude Meisch le soin de dire si sa présence en lieu et place de Xavier Bettel est le signe de son envie de devenir Premier ministre. «Pas en 2023 en tout cas», répond avec malice la tête de liste du DP dans la plus grosse circonscription, le sud, se mettant une première fois le public dans la poche.
Bettel tease sur Tik Tok
Car on peut dire ce que l’on veut. Que le débat ne compte que quatre têtes de liste alors qu’il existe douze partis sur la ligne de départ. Que l’on est attaché à faire avancer les idées. Que l’on n’a pas un goût particulier pour les petites piques. Arrêtons de nous mentir, il n’y a quand même que cela qui passionne tout auditoire. Ce moment d’incertitude, de flottement, d’inattendu. Pas les bilans dressés pour la trentième fois, pas l’évocation des crises à répétition, pas l’évocation des absents, non rien de tout cela. Seulement ces moments où le candidat doit avaler des couleuvres venimeuses en gardant le sourire ou faire preuve d’une vivacité d’esprit saupoudrée d’une éloquence espiègle.
À la fin du débat, certains sont surtout occupés à regarder comment le Premier ministre drague la jeunesse en l’invitant, sur son compte Tik Tok, dans un bar des Rives de Clausen samedi soir (55.000 vues à 21 heures). D’autres débriefent déjà le débat comme autant d’entraîneurs de Champion’s League et assurent avoir compris qui n’ira pas en vacances avec qui. «Pas sûr», glisse un observateur averti: «Quand il s’agira d’être au pouvoir, tout le monde s’accommodera très bien de tout le monde».
Innovation, réforme de la fiscalité, attractivité, logement, compétitivité, malgré le cadrage des deux animatrices, il est facile de partir dans toutes les directions. Restons focus. Focus sur les points de différenciation de chacun de ces quatre candidats, par ordre d’apparition, celui du numéro des listes électorales.
Paulette Lenert (LSAP)
Si le programme socialiste promeut la réduction du temps de travail hebdomadaire à 38 heures, la Spëtzenkandidatin du LSAP a aussi reconnu que ce n’était pas la solution idéale et qu’elle aurait bien d’autres idées d’innovation sociale pour faire avancer la réduction du temps de travail, idées basées sur des pratiques réussies dans d’autres contrées. Y compris l’annualisation du temps de travail.
La ministre de la Santé a aussi défendu la fiscalité pour rééquilibrer des écarts qui se creusent entre les moins riches et les plus riches, revenant à plusieurs reprises à la fois sur l’expression «working poors» concept qui définit ceux qui travaillent et ne parviennent à vivre correctement du fruit de leur labeur et sur la «solidarité», signe d’une société capable de s’élever ensemble.
Paulette Lenert a aussi remis sur le tapis la discussion sur «le PIB du bien-être». Oui à la croissance, à trois conditions: qu’elle génère une augmentation des richesses, qu’elle favorise le bien-être pour tous et qu’elle permette de faire face aux défis environnementaux.
Claude Meisch (DP)
Le futur Premier ministre potentiel aurait probablement remporté le prix de l’applaudimètre s’il y en avait eu un. Notamment avec sa sortie sur son «non» à sa voisine socialiste sur l’augmentation de la fiscalité pour les plus aisés. Un «non» à reprendre d’un côté (par les impôts) ce que l’État a donné de l’autre (par l’indexation).
Sur la question des talents, le ministre de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a proposé une grande initiative avec l’Université du Luxembourg… où il était le matin même à l’occasion des 20 ans de la machine de guerre luxembourgeoise dès qu’on parle de cerveaux.
Le DP semble lui aussi avoir adopté l’idée d’un rabais sur la taxe d’abonnement pour les acteurs de la Place financière qui seraient eco-friendly.
Sur l’attractivité, le dauphin autoproclamé a invité à un positionnement clair vis-à-vis des entreprises qui voudraient s’installer au Luxembourg. En somme, à rompre avec la procession dansante d’Echternach des temps modernes qui consiste à faire deux pas à droite et deux pas à gauche… «La seule chose que nous ayons à perdre est notre crédibilité» a dit le ministre, au pouvoir depuis dix ans. Non, nous ne rappellerons donc pas les dossiers Fage, Knauf ou Google. Promis.
Au petit jeu du «choisis un mot et pose une question embarrassante à un de tes adversaires», retenons sa définition de «hara-kiri» qui lui avait été demandée par Sam Tanson: «Une réduction du temps de travail dans une situation de pénurie accrue de main d’œuvre.»
Sam Tanson (déi Greng)
Loin des égéries à la voix acidulée qui sèchent les cours le vendredi, la toujours nouvelle génération verte (par opposition aux Bausch, Turmes ou autres Kox) a la voix amusée, la petite pique aussi facile que sa connaissance aiguë des dossiers et point trop de respect pour ses aînés.
Pas d’accord pour dire que le gouvernement n’a pas assez fait pour favoriser une transition verte. Pas d’accord pour dire que la fiscalité est l’élément central de l’attractivité du pays. Pas d’accord non plus pour admettre que la crise du logement doit primer sur tout.
«Nous sommes dans une crise du logement!» lui assène l’expérimenté Luc Frieden. «Nous sommes dans une crise de l’environnement», lui répond-elle aussitôt pour justifier que même la construction dans un PAG soit soumise à l’absence de nid d’hirondelles – non, le nid d’hirondelles, c’est nous qui ajoutons – soit soumise à un contrôle environnemental. Et même un pan sur le bec à ces bourgmestres qui compliquent encore les choses dans le domaine immobilier, la ministre a défendu le logement abordable, la formation adaptée de la jeunesse et des talents et même ce développement de l’offre culturelle comme critère d’attractivité, reprenant une seconde sa casquette de ministre de la Culture!
«Nous devons conserver espaces verts et nature où nous vivons. Cela permet de réduire la température de jusqu’à dix degrés !» défend-elle avant de gommer ses différences avec l’ancien ministre de Jean-Claude Juncker à propos de la réduction du temps de travail. «En temps de pénurie, je ne crois pas que la réduction généralisée soit la solution. En revanche, le télétravail et la flexibilité, surtout pour les jeunes parents, oui !»
La salle glousse quand elle s’amuse à dessiner un chauffeur de bus qui ferait sa « tournée» à la vitesse recommandée jusqu’au moment où il lui faudrait terminer à toute vitesse pour ne pas faire d’heure supplémentaire!
Luc Frieden (CSV)
Politicien aguerri, quand Luc Frieden vient parler aux entreprises, il parle… d’entreprises. Ça a l’air évident. Il est pour le seul à avoir commencé par le faire dans ses quatre minutes d’introduction. Bien que connu, le message passe, à sentir la tension dans la salle. Réduction de la charge fiscale des personnes physiques pour leur donner du pouvoir d’achat pour qu’elles puissent consommer, réduction de la charge fiscale des entreprises pour investir dans les transitions et pour leur permettre de se développer sans d’innombrables autorisations qui prennent trop de temps. Devançant la sempiternelle question qu’on lui oppose: et comment financez-vous ce beau projet?, l’ancien ministre explique qu’au bout de deux ans, le cycle de consommation et d’investissement alimente le cercle vertueux de la croissance.
Les fonctionnaires et la CGFP auront probablement noté le «l’État ne peut pas continuer à embaucher autant de personnes» pour parler de digitalisation. D’autres plutôt son envie de limiter l’indexation à une par an tandis que des négociations s’occuperont de redonner du pouvoir d’achat à partir de la deuxième.
C’est Claude Meisch qui viendra lui rappeler que l’actuel gouvernement a agi exactement comme le gouvernement auquel le leader du CSV appartenait autrefois, mettant la solidarité nationale avant toute considération de réduction fiscale.
C’est à Paulette Lenert que Luc Frieden demande si elle pourrait s’assoir une troisième fois sur la réforme fiscale si son parti était encore au gouvernement. «Nous aurions pu commencer sans les crises, mais nous avons compris les réticences», répond sans sourciller cette dernière.
Et une dernière question «oubliée»
Et la soirée s’est terminée par ce succulent paradoxe, initié par le président de l’Union des entreprises luxembourgeoises, Michel Reckinger, qui les a interrogés sur leur envie – éventuellement, peut-être, on ne sait jamais – de s’intéresser à une réforme des retraites. Paradoxe parce qu’en pleine crise immobilière où les promoteurs gèlent nombre de projets, le mur des retraites continue lui de s’avancer. «On surveille», ont répondu les trois ministres du gouvernement, la bouche en cœur.
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