Il y a du Blaise Cendrars dans la poésie de Murielle Compère-Demarcy. Ça tombe plutôt bien car c’est l’un de ses poètes préférés. Elle y développe du rythme certain, souvent jazzy, avec des tempos soutenus. Elle y exprime aussi une avidité rare pour la liberté : « Jubiler S’ébrouer/ Je m’ébroue à peine levée/ comme une bête/ Ivre dans l’arôme du jour/ la sève des livres/ la cime des arbres/ Fortifieraient-ils une solitude/ résolument insoluble/ folle à se vouloir LIBRE », écrit-elle. On y sent aussi un goût pour la poésie de la Beat Generation qu’elle apprécie tout autant. Rencontre avec ce poète singulier.
« Se jeter dans le fracas du monde. »
Comment est né ce livre ?
Murielle Compère-Demarcy : L’appel de la louve est né de la volonté de s’ébrouer dans la morosité ambiante, via l’écriture poétique, et de proposer au lecteur un livre tonique. Dans le contexte d’un ras-le-bol et avec l’objectif d’un cri à exprimer, ceci dans le cadre d’un livre pour dire stop : aux injustices et aux violences sociétales, sociales ; stop au mal-être. L’appel est celui de la louve Alpha qui gère sa meute mais peut aussi, louve Oméga, accepter de s’en éloigner (pour échapper à la pensée unique symboliquement) pour prendre son propre destin en main, avec une pleine autonomie et indépendance. Né d’un cri d’amour – un amour solaire, féroce –, et qui se dépasse pour se sauver de justesse de ce qui aurait pu être destructeur si la louve n’optait pas pour un nouveau chemin (quitter la meute, accepter la solitude, se reconstruire ailleurs tout en restant soi). Enfin, c’est un documentaire sur « La louve Alpha » qui a déclenché l’envie d’écrire ce livre : le documentaire suit le cheminement d’une louve qui perd son loup, est écartée de la meute par ses congénères, prend seule la longue route pour se reconstruire ailleurs. Le passage par les dangers rencontrés en chemin et une pleine solitude la fait sortir vers un autre lieu de vie qui la reconstruit. Le livre se termine par « réfractaire » et « libertaire » : mon état d’esprit et ma posture vis-à-vis de toute soumission sociétale à l’encontre de l’individu. (Je serais adepte d’une anarchie – pas anarch-isme je n’aime pas les « ismes » – pacifiste non destructrice et qui préserve l’individu – sans tomber dans un individualisme égocentrique et irrespectueux d’autrui, au contraire : le respect redonné à la liberté individuelle peut acheminer et conforter une solidarité collective si l’individu se sent reconstruit dans son bien-être existentiel). L’écriture « court » dans le livre ; il s’agit d’une fuite en avant pour fendre l’aléatoire ou dépasser un amour perdu et ne pas se laisser gagner par une mélancolie triste : courir pour ne pas trop s’arrêter et se retourner, tout en gardant une mémoire fidèle de ce qui est essentiel. Se jeter dans le fracas du monde tout en canalisant son tumulte et ses tourbillons par les murs porteurs des mots qui écrivent pour conserver ce qui passe, fixent le fugitif des choses, cristallisent nos amours. Il y a ce mouvement cette vitesse dans le livre, comme on court après le temps, après quelque chose, après quelqu’un, pour vivre pleinement, aller au-devant, et le mouvement de l’écriture qui capte par tous les sens le dérèglement ou non, la frénésie ou non, du monde qu’elle tente de fixer entre ses lignes de perspectives. L’écriture sous contrôle court après ce qui est hors contrôle.
« La louve est le symbole de la liberté. »
Pourquoi la louve ? Que représente pour vous ce symbole ?
La louve est le symbole de la liberté, de la non soumission. Une âme-animale sauvage qui hurle, qui ne se laisse pas domestiquer, qui ne se rend pas docile mais gueule. L’idée d’insurrection sous-tend l’avancée de ce livre dans ses thématiques (liberté de la femme -attention sans tomber dans le féminisme actuel parfois outrancier, excessif). La louve : femme rebelle, insoumise, indépendante, autonome. Werner Lambersy a écrit : « Je nettoyais le poème / Le coup est parti ». Jean-Louis Rambour m’avait dit à propos de ce distique qu’il ferait un excellent thème pour Le Printemps des Poètes : l’insurrection poétique. La femme est emprisonnée dans un carcan d’obligations/devoirs à remplir pour être « une bonne mère », une « bonne femme », une « bonne épouse », etc. cela est encore ancré dans les esprits aujourd’hui, même si les mentalités évoluent. Elle remplit le travail que l’on attend d’elle puis, un jour, d’un coup dit NON, refusant d’être enfermée dans le rôle que l’on veut lui voir jouer. De même la louve quitte la meute, se réinvente, etc. Ce livre, via le symbole de la louve, entend contribuer à casser les codes. À contre-courant des schémas normatifs, logiques, de la normalité. La louve quittant/rejetée par la meute est entre-deux mondes, entre chien et loup, borderline.
Il y est question d’amour, de liberté, mais aussi de la mer, de l’océan. Pourquoi ?
L’amour, la liberté (cf. mes explications ci-dessus). La mer, l’océan : c’est un fil conducteur et un réseau d’images récurrent dans ce que j’écris depuis Le soleil n’est pas terminé et L’ange du mascaret : le Fleuve est le fil conducteur inspirateur qui, de rivière et devenu fleuve, traverse l’existence sur le lit roulé des aléas et de son cours vif, jusqu’à s’acheminer vers l’estuaire, mener le combat avec la mer au lieu-dit du mascaret, se jeter dans la mer sans jamais totalement s’y abandonner. Une métaphore filée de l’amour avec ses remous, ses méandres, ses marées. La louve traverse les landes de Hurle-lyre de son existence ainsi, dans le combat, dans la lutte, Alpha et Oméga, afin de se réinventer. Le rythme est toujours là : celui du Fleuve, de la course, le « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve » d’Héraclite. Tout se fait, se défait, constamment, l’écriture tricote ce fil et tente d’en faire une toile.
Écrire et publier de la poésie aujourd’hui, c’est courageux car c’est difficile au niveau des ventes et de l’édition. Qu’est-ce que ça représente pour vous ?
Écrire de la poésie aujourd’hui est peut-être courageux, au sens de douloureux. C’est un truc de looser pour certains qui la voient comme quelque chose de désuet, ringard, quand on ne lui colle pas un sentimentalisme niais sur son nom… La poésie n’a pas le vent en poupe du tout et se positionne à contre-courant de la société du spectacle qui ne parie que sur le produit commercial, le buzz, l’extrême visibilité attractive et superficielle des choses. Ceci dit je ne souffre pas de ce décalage ni de ce déficit de reconnaissance des poètes dans le sens où la poésie est mon cheval de bataille instinctif, mon credo pur-sang, par amour pour la langue française, pour le Dire. Je la pratique car je ne peux faire autrement, elle est en moi sans savoir pourquoi, mais c’est ainsi. Jacques Darras exprime très bien cela avec ces mots : « être traversé par la poésie des pieds à la tête ». C’est cela oui, être traversée par la poésie des pieds à la tête ; d’ailleurs j’écris en marchant, dehors et en marchant. Comme si la marche activait la pompe à encre. C’est ainsi que je n’écris jamais aussi peu que lorsque je suis libre de mon temps, car c’est le monde, l’immersion dans le dehors et le monde, qui actionne l’inspiration. Un peu comme lorsque vous aviez dit à Poulainville : « C’est chiant une liberté totale » pour rappeler qu’il y faut un peu de contraintes pour la savourer ; l’écriture libre de son temps c’est pour moi une écriture qui n’a pas lieu car il me faut du mouvement, des gens, le bruit du vivant, le dehors, pour que s’amorce l’écriture. La poésie est donc ma raison de vivre : d’écrire, ceci dit je suis depuis deux ans dans l’écriture d’un roman-récit entrepris en mars 2020 lors du confinement dû au Covid. Je le finalise. En fait, au fond, ce qui me porte est avant tout l’écriture, quelle qu’elle soit du point de vue générique (poésie ou roman). J’écris comme je respire, l’écriture est mon souffle. Vitale. Viscérale.
« Les livres ont été mes compagnons de solitude. »
Depuis quand écrivez-vous de la poésie ? Et quand avez-vous commencé à être publiée ?
J’écris de la poésie depuis que mon imagination voit le monde avec ses lunettes. Depuis l’âge de l’imagination donc. Je ne parle pas ici de l’imagination « folle du logis », non, je parle de l’imagination créative si bien célébrée par Gaston Bachelard. En fait j’écris dès que je regarde le monde, comme l’on respire à l’air libre et l’on se sent vivre au contact du monde et des autres. Les livres ont été mes compagnons de solitude durant toute mon enfance car j’étais une enfant solitaire. Mais le livre n’a jamais été un refuge au sens de quelque chose qui isolerait, abriterait dans une bulle, au contraire, le livre est une fenêtre. J’ai été libraire, puis suis aujourd’hui enseignante-documentaliste. Toujours le monde des livres… J’ai commencé à être publiée à 21 ans dans la revue polypoétique parisienne Phréatique dont la force était de réunir des poètes et des scientifiques. Mais j’ai eu l’envie réelle de publier qu’en 2014, il y a peu donc ou, je veux dire, longtemps après des années de pratique de l’écriture. C’est la rencontre de Jacques Darras qui m’a impulsé l’idée de proposer ce que j’écrivais à des éditeurs. Jacques Darras par sa représentation orale si vivante, tonifiante, éloquente de la poésie m’a coaché en quelque sorte. Je publie donc et produis au moins un livre chaque année depuis ma rencontre avec Jacques Darras en 2014.
Vous êtes aussi éditrice pour les éditions Douro. Parlez-nous de cette activité.
En septembre 2022, le directeur des éditions Douro m’a confié la direction de la collection « Présences d’écriture ». Un travail que je réalise avec une publication au départ d’un livre par trimestre, prochainement un par mois. Pour cette collection, je recherche et sélectionne des livres qui témoignent de parcours atypiques, quels qu’ils soient pourvu que ce soit avec du style. Je ne suis pas figée dans une lignée très définie, réagis plutôt au coup de cœur, ce peut être un roman (le premier livre que j’ai fait paraître est un polar), un recueil de poésie (je cherche des poésies vivantes, tonifiantes)… pourvu que j’y décèle un style, une présence d’écriture…
Quelles sont vos influences ? Vos écrivains et poètes préférés ?
Mes auteurs : Cendrars, Reverdy, Artaud, Walt Whitman, Joyce Mansour, les écrivains de la Beat Generation, Patti Smith. Il me faut des écritures fortes. Patti Smith écrivain me transporte immanquablement dans son univers, son écriture a quelque chose de la transe, d’un mantra, une écriture chamane. Artaud, j’ai écrit un long poème d’une centaine de pages en son hommage chez Z4 Éditions : Alchimiste du soleil pulvérisé. Lorsque je lis l’Œuvre complète d’Antonin Artaud, j’ai la sensation d’être là où il parle avec une coïncidence telle qu’il m’est plus facile de lire Artaud que n’importe quelle page ordinaire de prose journalistique ou d’un autre auteur.
Quels sont vos projets ?
Mes projets ? Vivre d’écriture. Pouvoir augmenter des activités en lien avec l’écriture. Publier mon premier roman. Vivre pleinement d’écriture. (Attention : pas vivre pleinement DE mon écriture mais : vivre pleinement l’écriture, le plus possible, par tous les angles d’attaque possible).
« L’appel de la louve », Murielle Compère-Demarcy ; éd. du Cygne ; 54 p. ; 10 €.
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