Les OFF fait suite au premier ouvrage de David Delaplace : Le visage du Rap : portraits du mouvement, paru en 2017. C’est dans un ouvrage de 312 pages qui ouvre sur une préface rédigée par Mehdi Maïzi, que le photographe permet aux lecteurs de s’immerger au cœur de 8 ans de photographie. Pour l’occasion, Booska-P est parti à la rencontre de David Delaplace, le visage qui se cache derrière l’objectif du rap français.
Kali Kiyindou : Tu peux nous expliquer ton lien entre la photographie et ta famille, notamment avec ton frère et sa passion ?
David DeLaPlace : Mon frère faisait de la musique à l’époque, il rappait dans ma cité. Moi, j’avais commencé à faire de l’image pour lui : j’ai acheté un appareil photo pour créer et développer son identité puis la diffuser à travers les réseaux sociaux. À la suite de mon travail pour mon frère, le manager de Tito Prince (qui est un artiste de mon quartier) m’a contacté. Il avait besoin d’images et avait aimé les photos que j’avais faites. Finalement, le taff ne s’est pas fait, mais ça m’a donné une idée sur le travail de photographe et je me suis dit que je pouvais l’améliorer et le développer.
Tu as continué de travailler pour ton frère ?
Mon frère a fini par arrêter la musique, mais quand ça a bien pris pour moi, j’ai dit à mon frère de se lancer dans la réal et ça a fait un très bon échange parce que je lui ai partagé des clients que j’avais pour qu’il puisse se lancer. Maintenant, ça arrive qu’on bosse ensemble. La pub du livre, c’est lui qui l’a filmé et monté et moi, j’étais à la réalisation du projet puisque j’avais une idée très précise de ce que je voulais. Sinon, on a plein de clients en commun aujourd’hui, c’est cool.
C’est plus simple quand tu es dans une niche
Pourquoi tu as fait le choix de photographier des artistes dans le rap français ?
En fait, j’ai fait beaucoup de projets hors rap FR mais en France, c’est très compliqué lorsque tu n’es pas spécialisé dans un domaine, disons que c’est plus simple quand tu es dans une niche. Par exemple, j’ai shooté Jean-Paul Gaultier, travaillé avec le musée Grévin, j’ai shooté pleins de personnalités dans pleins de milieux différents, souvent pour des marques ou pour des médias. Personnellement, j’ai choisi le rap français parce que je suis un bousillé de rap. Avant, l’intérêt n’était tourné que vers la musique ou le foot. Moi, j’ai choisi le rap. Maintenant, ça tend à devenir différent et tant mieux.
Tu es originaire du 91, est-ce que tu penses ça t’a permis de t’ancrer en tant que photographe rap ?
Ouais, je pense parce que ça m’a permis de me connecter directement avec des gars de mon quartier, certains qui avaient déjà le respect de pas mal d’artistes et une crédibilité. En plus, le 91 c’est très sectaire, donc j’ai pu bosser avec pas mal d’artistes, de Grigny ou autre. Quand tu commences à être respecté dans ce milieu-là, les gens parlent facilement de toi. Encore aujourd’hui, je sais que cette connexion existe avec les mecs du 91, ce n’est pas vraiment nouveau.
Tu expliques dans ton livre que ta première séance photo s’est faite avec La Coméra, un groupe qui est originaire du 91, comme toi, tu ressens quoi quand tu repenses à ce shooting ?
Je regarde ce taff avec nostalgie. À ce moment-là, ma qualité n’était pas ouf, ça se voyait que je venais d’acheter mon appareil photo… Je savais prendre des photos, mais je ne savais pas réellement me servir de mon appareil. En réalité, ça me rappelle un moment qui était incroyable. C’est le premier tournage que j’ai fait et c’était à Grigny. Je me sentais à l’aise parce que c’était chez moi. De toute façon, j’ai toujours été à l’aise partout, j’arrive à m’adapter facilement, je ne suis vraiment pas quelqu’un de compliqué.
Quelle est la cover que tu as réalisé qui t’a permis de t’imposer au sein de ce milieu ? Celle qui a été game changer
La cover Nuit de Jazzy Bazz m’a vraiment marqué, surtout que c’était au moment où je sortais mon premier livre Le Visage du rap et le deux évènements étaient quasiment en même temps. C’est à partir de ce moment-là qu’on a commencé à m’appeler pour plusieurs autres cover dont Jok’Air, Keblack et d’autres… De fil en aiguille, ça a mené à tout ce que je peux faire aujourd’hui. Les gens s’étaient mangés une petite claque et ils avaient commencé à comprendre que je faisais un travail sérieux.
D’ailleurs, comment elle s’est faite la connexion avec Jazzy Bazz ?
Je le connaissais déjà parce que je travaillais avec Deen Burbigo et je traînais beaucoup avec l’Entourage en règle générale. Pour la petite histoire : un gars de son équipe gère Oxmo Puccino, et Oxmo c’est le premier à avoir participé à mon livre Le visage du rap. On n’était pas passé par le staff et le management habituel, donc entre moi et son manager, il y avait une petite animosité. Un jour, il y avait une personne d’une boite de prod’ qui m’avait appelé pour un évènement, sauf qu’à la base, je ne faisais pas de photos d’événements, donc ils me disaient que l’enjeu, c’était de prendre des photos pour l’évènement d’Oxmo, et étant donné que je ne lui avais pas encore remis le livre, je me suis dit que j’allais y aller. Et ce soir-là, j’ai rencontré son manager qui est Marc, on a discuté et il a vraiment découvert ma personnalité, on s’était vraiment bien entendu, l’animosité était mise de côté. Suite à ça, il m’a rappelé une semaine après cet évènement pour me confier la cover de Jazzy Bazz.
Quelle est la collaboration qui t’a le plus marqué ?
Travailler avec Sofiane (Fianso), c’est vraiment cool. Ca fait très longtemps que je fais des visuels pour lui, quasiment toutes ses photos : des covers de singles à la pochette de son album La Direction. Au fur et à mesure, on commence à réellement bien se connaître donc ça devient facile au niveau du travail. Niro aussi, j’aime bien collaborer avec lui parce que sur chaque projet qu’on a fait ensemble, on a toujours fait des trucs complètement barrés. On est vraiment sur des grosses productions avec lui, sur Sale môme par exemple, le fait d’avoir cramé tout un bâtiment, c’était fou. Ce sont des images qui sont très cinéma et je tends à me diriger de plus en plus vers ce style.
Comment est-ce que tu te positionnes face à la nouvelle génération de photographes autodidactes ?
J’essaye de rester proche de beaucoup de jeunes artistes qui m’envoient des conseils, je crée aussi beaucoup d’événements dans mes studios avec lesquels il y a des personnes qui passent donc ça crée de l’échange. J’essaie vraiment de ne pas apporter l’aspect négatif de la concurrence. Je pense qu’il y a tellement d’artistes en France qu’il y a forcément de la place pour que tous les photographes puissent y trouver leur place et manger un peu.
Comment tu réalises ton processus de création ? Tu réfléchis à quoi en premier lieu pour imaginer la direction artistique du projet ?
La première étape déjà, c’est de voir avec l’artiste si le projet est dans un format egotrip au niveau des titres ou si c’est un projet qui relate un peu plus son histoire. Si c’est un egotrip je n’ai pas vraiment besoin d’avoir beaucoup d’infos sur l’album, car les titres vont souvent être très différents les uns des autres donc ça pourrait me perdre sur la visualisation. S’il s’agit d’une histoire, il faut absolument que j’écoute l’album et en écoutant un titre parfois, je peux relever une phrase et je me dis qu’elle va être interessante à imager, à partir de là, je peux imaginer un scénario.
Si le projet est un égo trip, le but ça va être d’avoir une image marquante qui peut parfois même choquer. Toute la journée, on est submergés d’images et d’informations, que ce soit sur les réseaux sociaux ou non, il y a des publicités partout, donc on a l’habitude de se retrouver face à des images et ce qui va te faire arrêter sur une image, c’est à la fois la qualité de celle-ci, mais aussi son décalage. Il faut d’abord se situer sur notre direction et ensuite, ce sera beaucoup d’échange avec l’artiste pour savoir plus où moins ce qui lui plaît.
Ce qui me plaît vraiment dedans, c’est de confectionner le projet et d’essayer de produire des images qui à l’origine sont toutes simples, mais finalement sont en fait stratégiques.
Faire quelque chose de très frappant aussi, c’est ce qui m’intéresse. Il y a des personnes avec qui c’est assez simple, de faire ça parce qu’elles ont un charisme inné, par exemple Sofiane ou Booba ce sont des mecs qui dégagent ce truc là de base. Et mon rôle, c’est de construire un univers qui fait que peu importe si la personne a du charisme ou non, je dois réussir à créer ce truc-là
Quels sont les artistes avec qui t’a travaillé qui demandent une direction artistique poussée et minutieuse?
Jazzy Bazz, il demande beaucoup de précision.
Jok’air, il a une image qui demande aussi beaucoup d’attention et d’application. Parfois ça va aussi être du challenge, Niro ses covers, elles sont vraiment très cool donc quand la discographie est parfaite tu te sens obligé de continuer dans cette lancée, de te mettre à ce niveau-là peu importe ton nombre d’années d’expériences. Il faut vraiment pas qu’il y ait un gros décalage entre les discographies, tu vois. Parfois, c’est pas uniquement un artiste particulier, mais ça va aussi être tout le background et ce qui a été fait avant moi.
Il y a des artistes avec qui tu aimerais travailler, car justement, tu ressens chez eux une esthétique qui est très poussée et très travaillée ?
Ouais franchement avec les jeunes, je trouve qu’il y a quelque chose à faire. Jey brownie, j’aime beaucoup son visuel. Kerchak, j’aime beaucoup l’attitude qu’il renvoie. Yamê, il a son propre univers et une bonne gueule, je pense que ça peut être intéressant à développer.
Ce n’est pas tant le niveau de starification de la personne qui m’intéresse parce que lorsque les gens sont arrivés au bout, ils savent ce qu’ils veulent et souvent il y a des grosses équipes derrière, ça devient rapidement très technique de pouvoir proposer des avis, les convaincre etc, ça devient vraiment complexe.
Alors que quand je travaille avec des jeunes, c’est beaucoup plus facile et fluide, pour moi ça se passe mieux et je trouve ça plus intéressant.
T’a le sentiment que c’est encore possible de se réinventer dans les convers ou que tout a déjà été fait ?
Oui, c’est toujours possible, j’ai exploré pleins de truc, mais il y a un milliard de trucs à faire. Après la problématique, c’est que parfois, il y a des objectifs que j’aimerais atteindre en matière d’image, mais qui vont nécessiter des couts de productions beaucoup trop importants, c’est ça qui peut me bloquer et devenir complexe parce que quand tu veux tirer vers des images qui sont très cinématographiques.
Les grosses prods ne vont pas seulement dépendre de l’artiste, parfois, il y a des artistes qui sont gros et qui n’ont pas forcément d’ambition en termes d’image, tout le monde n’a pas cet attrait-là.
Et parfois il y a des jeunes qui vont avoir cet attrait-là parce qu’ils veulent se démarquer parmi les autres artistes, donc ils vont être pointilleux sur la cover. Donc ça peut être plus simple de créer avec eux, mais la contrainte, c’est que souvent, ils n’auront pas le même budget qu’un gros artiste…
Quand une personne m’appelle en dernière minute, je trouve que ça va se ressentir dans le projet parce que si il n’y a pas beaucoup de budget, qu’on doit faire ça rapidement, forcément pas on vraiment le temps de créer ce qu’on veut
Sinon lorsqu’on se laisse le temps, c’est fluide, il n’y a pas du tout de soucis
T’es seul dans ton processus créatif ?
Je travaille tout seul vraiment, que ce soit de la prise d’image à la lumière en passant par la construction de décor, vraiment, je m’occupe de tout.
Tu peux nous citer l’un des projet pour lequel t’a dû travailler accompagné de quelqu’un
C’est extrêmement rare que je travaille avec du monde, mais j’ai dû appelé un chef déco sur la prochaine cover de Sidiki Diabaté parce que je n’étais pas en France, et que j’allais arriver tard au studio. Même si ce n’est pas forcément ce que j’aime faire, j’étais obligé de délégué mon travail cette fois-ci.
Sinon j’ai pris un assistant qui travaille avec moi, mais franchement, je me vois comme un artisant, j’aime bien l’idée de gérer le travail de A à Z, ça me permet de porter toutes les responsabilités. Au-delà de ça franchement ça me fait kiffer de tout créer et avec le temps, j’ai l’impression de mieux maîtriser mon produit, je suis sûr de ne pas avoir d’imprévus vu que c’est moi.
Dans la préface des OFF, on peut lire Mehdi Maïzi raconter ton entrée dans le milieu de la photographie rap, c’est également le cas pour la préface de Dan de Ticaret dans ton premier livre Le Visage du rap, est-ce qu’il y a d’autres personnes qui ont également suivi ton parcours depuis le début ?
Fif et Amad ont vachement vu l’évolution de mon travail, on a bossé ensemble quelque temps et ils m’ont bien aidé à avancer dans le milieu du rap. Il y a aussi plein de personnes de l’ombre, notamment en maison de disque qui m’ont aussi épaulé et vus tout au long de mon parcours.
J’ai choisi Mehdi Maïzi pour la préface de mon second livre, car c’est vraiment quelqu’un avec qui on a un parcours commun dans le rap. J‘étais à mes débuts dans ce domaine et lui aussi avec l’ABCDR du Son. Chacun à évoluer petit à petit dans son domaine et je trouvais ça intéressant de lui proposer de faire la préface. Honnêtement sa préface, elle m’a émue.
Le format livre pour un photographe, c’est ce qu’un album est pour un rappeur.
« C’est la première fois dans un livre que je présente mon travail et ce que je fais de mieux. Le visage du rap c’est un reportage au fait, je suivais les artistes, mais ce n’était pas moi qui étais à la direction artistique. Tandis que là, c’est différent, c’est vraiment ce que je fais de mieux. Il y a beaucoup de backstages et d’anecdotes, c’est un livre qui illustre à la fois mon travail qu’un livre qui retrace ce qui a pu se passer dans le rap français à un moment T. J’y raconte vraiment tout, même des soucis qu’on a eus sur les shoots, des gardes à vue avec certains…
Ça montre vraiment les coulisses du rap et je pense que c’est une pièce artistique issue de ce milieu. Je trouvais important de le faire parce qu’artistiquement les OFF, c’est une grosse claque visuelle.
Le travail a été long, on a dû s’isoler à la campagne, je n’avais pas du tout une grande équipe avec moi pour le réaliser. »
Le second livre de David Delaplace Les OFF est disponible depuis le jeudi 12 octobre sur son site officiel www.delaplace-shop.com
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