Quatre thérapeutes de couple nous donnent leur avis sur les manières de préserver les liens amoureux, à l’arrivée d’un jeune enfant.
Ellen De MeesterJournaliste Blick
Où se cache la romance, quand les pleurs de bébé ont remplacé la bande sonore jazzy qui ronronnait dans la cuisine? Comment l’extirper des piles de couches, quand il nous reste à peine une once d’énergie pour s’arracher du canapé? On a beau se promettre que «nous deux, ce sera différent», un enfant provoque autant de bonheur que de chaos et chamboule absolument tout sur son passage.
Pour Marine Cornu, psychologue, sexologue et thérapeute de couple, il s’agit carrément d’un des plus grands défis auxquels le couple peut faire face: «Nos ressources doivent être hiérarchisées différemment au profit de l’enfant, ce qui va nécessairement avoir un impact sur la relation: on aura moins de temps, d’argent, de sommeil, de liberté, de caresses et d’intimité à consacrer à sa ou son partenaire.»
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Notre intervenante souligne toutefois qu’il est entièrement possible de rester un couple après l’arrivée de jeunes enfants: «Mais il faut savoir que ces personnes ont fait le choix de préserver leur relation amoureuse en plus de leur relation parentale, quitte à demander du soutien, tempère-t-elle. Cela demande de libérer une partie de notre attention portée sur l’enfant pour la réorienter vers soi et le couple.» Voilà qui est évidemment plus facile à dire qu’à faire, puisque le jeune bébé requiert la totalité de notre énergie et obnubile nos pensées. Mais c’est faisable, grâce à de l’aide suffisante et une certaine prise de recul sur l’image idéalisée du couple.
Afin de mieux comprendre ce défi et prendre soin de sa relation, quatre expertes nous ont partagé leur perspective sur cette question aussi complexe que délicate.
«Les moments à deux ne doivent pas tous être grandiloquents»
Pour Anne Dubuis, conseillère conjugale et familiale à la Fédération Valaisanne des Centres SIPE, la rencontre amoureuse est l’état fondateur d’une relation, mais ne constitue pas le couple: «Celui-ci est une construction individuelle et relationnelle, impliquant une constante recherche d’équilibre et des ajustements après chaque phase différente, pointe-t-elle. Il est commun que les choses se modifient par rapport au début, tant que chaque partenaire parvient à s’adapter au nouveau rythme. L’insatisfaction du couple qui peut découler de l’arrivée d’un enfant est normale et, surtout, transitoire! On a l’impression qu’elle sera éternelle, mais il ne s’agit que d’une nouvelle phase.»
Des périodes moins passionnelles ne signifient donc pas que la relation est endommagée. Lorsqu’on se réfère aux grands instants romantiques qui sublimaient les premières années de vie commune, on peut évidemment avoir l’impression que tout a changé, que l’histoire est devenue moins belle, moins romantique… Or, notre experte considère que c’est avant tout dans la simplicité du quotidien que le couple peut dénicher des instants de grâce: «Beaucoup de jeunes parents s’infligent une immense pression, car ils veulent tout mener de front, comme ils le faisaient auparavant. Mais cela engendre une énorme fatigue et beaucoup de culpabilité.»
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Plutôt que de viser le souvenir idéalisé d’un passé révolu, Anne Dubuis conseille de revoir ses priorités et de miser sur des détails d’apparence banale: prendre trente minutes pour discuter au calme chaque soir, rire du chaos qui règne dans la maison, soutenir l’autre dans ses projets personnels, se promener, créer un rituel simple… «Peu importe si ce n’est pas grandiloquent ou si l’on ne parvient pas à le faire tous les jours. Il s’agit juste de cultiver le plaisir d’être ensemble, de rester lié et complice dans ce quotidien bouleversé. Cela permet de garder du courage.»
Pour terminer, la thérapeute conseille d’oser demander de l’aide, sans culpabiliser: «On n’est pas obligé de tout porter seul, il faut aussi pouvoir prendre soin de soi, c’est indispensable.»
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«Les enfants ont besoin de voir leurs parents épanouis»
Or, dégager de l’énergie pour son bien-être requiert parfois d’esquisser de véritables stratégies logistiques et organisationnelles. La psychologue et thérapeute de couple Marine Cornu insiste par exemple sur l’importance du partage des responsabilités, afin que chaque partenaire puisse réinvestir du temps dans ses propres besoins.
Mais il existe un autre obstacle de taille à cette idée: lorsqu’on parvient enfin à préserver quelques heures de liberté, un sentiment de culpabilité paralysant peut surgir, sous la forme d’une voix mentale intransigeante qui nous accuse d’être un parent égoïste ou imparfait… Pour nous aider à y faire face, Marine Cornu rappelle qu’il est important pour le bon développement des plus jeunes de voir leurs parents épanouis en couple: «Car si nous sommes comblés sur le plan affectif et sexuel, nous autorisons par conséquent nos enfants à accroître leur propre indépendance.»
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Bien que la vie de famille procure une réelle source d’épanouissement, la spécialiste estime qu’une attention entièrement focalisée sur les enfants risque de leur imposer une grande pression: «Cela les rend responsables de notre besoin de se sentir essentiels et utiles, analyse-t-elle. Mais il n’incombe pas aux enfants de porter ce besoin affectif, car pour qu’ils puissent se développer sainement sur le long terme, ils ont besoin de comprendre qu’ils ne constituent pas l’unique source de bonheur de leurs parents, au risque de devenir dépendants, à leur tour, de ce lien affectif.» En d’autres termes, le fait de prendre soin du couple, dans la mesure du possible, n’est pas un acte égoïste, puisqu’il implique le bien-être de toute la tribu.
«Il faut laisser passer la tempête»
Ainsi que le souligne Sonia Ciotta, psychologue et psychothérapeute FSP, il n’existe malheureusement aucune recette miracle pour prendre soin de sa relation: «Dans le meilleur des cas, le couple se retrouve après quelque temps, lorsque la tempête du changement est passée et que de nouveaux repères sont apparus», constate-t-elle toutefois.
L’expérience est évidemment propre à chaque famille: «Pour certains couples, il semble évident que la conjugalité soit mise de côté durant un certain temps, reprend l’experte. Pour d’autres, il est insupportable de ne pas ressentir une forme de continuité du lien conjugal. Dans ce deuxième cas de figure, il sera d’autant plus important de rester le plus proche possible des besoins émotionnels des deux individus qui forment le couple. C’est pourquoi la communication est l’ingrédient fondamental à la construction d’une solution commune.»
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Par ailleurs, Sonia Ciotta explique que chaque couple possède sa propre «mythologie», dont les enfants font partie, et qui se poursuit quand la famille s’agrandit: «L’on devrait pouvoir créer des micro-”espace-temps” dédiés à la communication, explique-t-elle. L’idée est d’évaluer ensemble l’état de santé de la relation, d’évoquer librement les éventuelles frustrations ou les joies qui contribuent à garantir la continuité de la mythologie du couple. Ainsi, si quelques difficultés peuvent être résolues au passage, d’autres resteront dans la file d’attente de « l’inconscient » des partenaires. Au moment venu, ces désirs momentanément suspendus retrouveront leur place.»
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Aux yeux de la psychothérapeute, il s’agit surtout de se sentir entendu émotionnellement par son ou sa partenaire dans cette traversée de la parentalité, afin de préserver le lien.
«Oui, la relation change, mais elle s’enrichit aussi»
«On a beaucoup tendance à opposer le couple et la famille, comme si ces dimensions n’étaient pas “tricotées” ensemble, note Anne-Claude Rossier Ramuz, thérapeute de couple et de famille. Je pense que ce qui peut aider les partenaires à renouer avec ce que j’aime appeler la “conversation amoureuse”, soit leur langage d’amour spécifique, est de s’intéresser à ce que vit l’autre dans son nouveau rôle de parent: quelles sont ses découvertes, ses émerveillements, ses difficultés, ses angoisses…?»
Notre experte propose ainsi de s’épauler, de faire confiance à l’autre, d’essayer de prêter attention à la fatigue de son ou sa partenaire, de faire preuve d’indulgence et de curiosité face aux réactions qui provoquent de l’incompréhension ou des déceptions: «Ce n’est pas tant du côté de la séduction qu’il faut chercher, à mon sens, mais du côté de la tendresse mutuelle et du soutien mutuel, en tout cas dans un premier temps après une naissance», estime la thérapeute.
Dans ce cas, faut-il renoncer à la relation qu’on vivait avant? Pour Anne-Claude Rossier Ramuz, il s’agit surtout d’accepter qu’elle se transforme et s’enrichisse: «C’est vrai qu’on doit renoncer à certaines choses, tempère la spécialiste. Il est important que les éventuels renoncements puissent être vécus par les deux parents, sans trop de crainte d’être lésé, particulièrement lorsque les enfants sont petits. Mais il me semble qu’il faudrait davantage penser que la parentalité et la relation de couple s’enrichissent l’une et l’autre, plutôt que de se porter préjudice.»
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Pour notre intervenante, la confiance et l’amour du conjoint permettent à chaque parent d’être présent auprès de son enfant, tandis que les échanges avec le bébé, la découverte de nouvelles capacités d’amour, de tendresse et d’émerveillement, peuvent représenter une source de désir inédite, qui alimente le couple: «La parentalité peut être l’occasion de découvrir ou redécouvrir que la sexualité n’est pas qu’affaire de romance, mais se nourrit aussi de tendresse, de soutien mutuel et d’une capacité à respecter le rythme et la liberté de l’autre. Pour cela, il est essentiel de s’émanciper de toute vision normative quant au temps nécessaire pour renouer avec la vie sexuelle ou la fréquence des rapports. Accepter que la sexualité soit différente ne veut pas dire qu’on y renonce.»
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