À peine remis des acouphènes provoqués par l’Orchestre de Paris deux jours plus tôt, retour à la Philharmonie pour l’alléchant programme proposé par Andris Nelsons et ses musiciens du Boston Symphony Orchestra. Opposant l’Amérique à la Russie, le jazz au classique, la création au répertoire, nul doute que le plus français des orchestres du « Big Five » américain saura réunir artistiquement les trois œuvres d’un programme disparate, qui commence avec la création française de Four Black American Dances de Carlos Simon.
Andris Nelsons et le Boston Symphony Orchestra à la Philharmonie
© Ondine Bertrand
Sympathiques dans leur ensemble, ces Dances ont pour principale qualité leur très belle énergie. Transmise – par une rythmique simple mais efficace – à tous les pupitres de l’orchestre, cette énergie se transforme peu à peu en ferveur et parvient à communiquer à l’auditeur cette dynamique si caractéristique des danses collectives. Les nombreuses fanfares qui émaillent les premier (Ring shout) et dernier mouvements (Danse sacrée) sont l’occasion pour Carlos Simon de jouer sur la couleur très brillante des cuivres américains, et pour l’auditeur français d’en profiter. Toutefois, l’écriture par blocs de Carlos Simon reste relativement conventionnelle, et son matériau musical cède parfois à la facilité.
Cette création à la croisée des cultures introduit néanmoins à merveille le plus jazzy des concertos pour piano, celui de George Gershwin. Alors commence le tour de passe-passe d’Andris Nelsons et de son complice Jean-Yves Thibaudet qui, au lieu de donner une interprétation classique et convenue du Concerto en fa, vont décider par différents truchements de renverser la partition et de renouveler entièrement l’écoute de cette œuvre. Dès les premiers coups de timbales de Timothy Genis, le tempo est clairement ralenti : exit la nervosité verticale de l’écriture, place à une plongée sonore dans laquelle ni le temps et ni l’espace ne répondent aux lois communes de la physique – d’ailleurs, le tempo ne sera jamais fixé et évoluera au gré de quelques accelerandos bien sentis, à la manière d’un 33 tours que l’on ferait soudainement tourner à 45.
Andris Nelsons, Jean-Yves Thibaudet et le Boston Symphony Orchestra à la Philharmonie
© Ondine Bertrand
Emmenée avec un flegme délicieux par Andris Nelsons, la phalange installe ainsi un nouvel univers fait de cuivres ronds et chauds, de clarinette basse – enfin exposée au niveau sonore qu’elle requiert – et de cordes langoureuses à souhait, parfois à la limite du décousu, mais jamais figées. Il faut dire que le chef peut compter sur une phalange des plus disciplinées, qui suit cette interprétation singulière avec conviction. À leurs côtés, Jean-Yves Thibaudet se prête lui aussi à cet exercice périlleux avec une apparente délectation : alternant habilement les modes de jeu, les registres, du legato mollasse au staccato vigoureux, le soliste donne une impression d’amusement – d’autant plus agréable que ni lui, ni Nelsons, ne se disputent la couverture.
Quant au chef letton, maniant avec adresse la dynamique de son orchestre et préférant osciller autour du mezzo-forte, il ne se laisse jamais aller aux fortissimos inutiles et laisse ainsi les coudées franches au pianiste – qui laisse libre cours à son interprétation. Néanmoins, aussi intelligente soit la direction, de tels partis pris s’achètent au prix de la vivacité et du dynamisme. Tout l’art de Nelsons ne peut pas empêcher le mouvement lent de se montrer sinon assoupissant, au moins cotonneux, au risque de transformer l’écoute en véritable épreuve d’endurance.
Andris Nelsons dirige le Boston Symphony Orchestra à la Philharmonie
© Ondine Bertrand
En seconde partie de soirée, la Cinquième Symphonie de Prokofiev a elle aussi montré de belles choses, à l’exception d’un premier mouvement excessivement massif et solennel, et d’un dernier mouvement pris trop lentement pour transformer en ivresse tout le relief de cet Allegro giocoso. Toutefois, le second mouvement est rendu absolument frémissant par la légèreté des cordes sur lesquelles vient se superposer la marche mécanique et implacable de bois goguenards, dans un pur esprit de scherzo.
Porté par un accelerando des plus dramatiques et parfaitement mené, le finale accentue la superposition des prises de parole et conclut cet Allegro marcato dans un désordre orchestral absolument débridé. L’Adagio du troisième mouvement, pris ici dans son aspect le plus lugubre, délétère et sulfureux, aura quant à lui montré un équilibre parfait entre les pupitres, et un travail de la matière rendant envoûtants les murmures de la petite harmonie.
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